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Les aléas de la culture populaire, du stéréogramme à l’image numérique 3D.

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« Un objet solide étant placé de manière à être considéré par les deux yeux, projette son image et sa perspective de manière différente sur chaque rétine; maintenant si ces deux points de vue de la perspective sont, avec précision, copiés sur le papier, et présentés à chaque œil afin de tomber sur des pièces correspondantes, la figure originale de l’objet solide sera apparemment reproduite de façon à ce qu’aucun effort de l’imagination ne soit visiblement nécessaire, faisant ainsi état de sa représentation sur une surface plane. » – Charles Wheatstone.

Stéréogramme du Taj Mahal - 1906

Depuis la sortie du film Avatar, en 2009, notre façon d’appréhender la 3D a été remise en question. Quelques années auparavant, l’image 3D se cantonnait à des apparitions au sein de parcs à thèmes, de comics et de rares programmes télévisuels. L’intérêt qu’elle suscitait se limitait à une expérience visuelle au travers de films à sensations, tels que des courses poursuites ou des simulateurs de montagnes russes. Avec le film de James Cameron, la donne a bien changé et l’image foraine qu’elle avait se veut aujourd’hui être remplacé par celle de l’innovation technologique. En moins de trois ans, la 3D numérique s’est imposée sur le marché de l’image, non seulement par la multiplication des projections en relief, mais aussi par la commercialisation d’équipements domestiques misant sur ce procédé d’illusion d’optique.

Marquant une évolution de l’image à l’entrée du XXIe siècle, la 3D fait néanmoins l’objet d’une certaine méfiance auprès des différents acteurs de son développement. De sa création à sa distribution, le procédé ne séduit pas la majorité. De plus, on peut affirmer que les différents acteurs du marché de l’image sont tous en partie responsable de cette situation1. Conséquence de cela, le doute s’installe face à l’émergence de l’image 3D et freine sa production. Les productions hollywoodiennes seraient les premières à être blâmées. Par crainte d’investir trop d’argent dans une 3D native (le film est tourné en 3D), la plupart ont préféré miser sur une 3D virtuelle (le film est converti en relief après le tournage). De la même manière, les systèmes de « Home Cinéma 3D » se développent timidement car, avec un nombre limité de films et de programmes diffusé en 3D, le relief se porte d’avantage sur leurs prix relativement élevées. Au final, les consommateurs d’images ne s’y retrouvent pas. N’étant pas tous forcément sensibles au procédé, certains ne perçoivent pas la dimension spectaculaire du procédé. Accru par ce sentiment, les cinéphiles se sentent « volés » par le prix du billet et tient pour responsable la technologie elle-même. Investir dans des équipements 3D représente ainsi un investissement trop onéreux et souvent jugé « inutile ». Impopulaire, cette technologie est rapidement étiquetée comme un objet de luxe ou un banal gadget.

L’approche populaire du marché de l’image tridimensionnelle ne date pourtant pas d’hier. Commercialisé durant la seconde moitié du XIXe siècle, l’illusion du relief a construit son histoire durant les grandes périodes du développement de l’image. De la photographie à la cinématographie, l’image 3D a su attirer l’attention, même si aujourd’hui, cette partie de l’histoire reste peu connue du grand public. Il serait intéressant de revenir sur les grandes périodes de l’histoire de l’image en relief depuis la seconde moitié du XIXe siècle à nos jours et de mettre en valeur ces liens qu’elle a pu tisser avec la culture populaire.

1838-1852 : Pas de photo, pas de stéréo !

Comme beaucoup de techniques optiques, l’image 3D émergea de théories scientifiques. C’est en Angleterre, le 21 Juin 1838, que les premiers principes d’illusion du relief furent rendus publics. Ils développent l’idée selon laquelle une image en relief, dite stéréoscopique, s’obtient par l’alliance d’un couple d’images dont chacune est allouée à l’un des deux yeux. Ces deux images jointes, baptisées « stéréogramme », doivent être la représentation d’un même objet dans un même espace, à ceci près qu’elles respectent l’écart interoculaire (d’environ 65mm). La stéréoscopie comprend l’ensemble des procédés qui exploitent les lois physiques du couple stéréoscopique dans la réalisation d’une image en trois dimensions, procédé toujours d’actualité.

Stéréoscope à réflexions de Charles Wheatstone et stéréogrammes présentés en 1838.

A cette date, le physicien et inventeur Charles Wheatstone présenta à La Royal Society of Great Britain l’avancement de ses travaux en matière d’optique. Le fruit de ses recherches2 ne fut pas simplement théorique, puisqu’il proposa le premier appareil capable de rendre compte de ses recherches. Le stéréoscope à réflexions est la première invention permettant de voir une image en relief. Celui-ci est particulièrement imposant et sépare le couple d’images. Chacune d’entre elles est placée de part et d’autre de l’appareil afin que, par le biais de miroirs, elle ne puisse être perçue que par un œil.

Malgré l’enthousiasme d’une telle découverte, Wheatstone avait conscience que son invention serait trop complexe pour être commercialisée. Imposante et peu pratique, elle n’avait d’application que scientifique. De plus, les couples d’images se constituaient de formes géométriques ou architecturales, ce qui n’apportait pas de grands intérêts pour le public. Ainsi, même exposée, la stéréoscopie nécessite une application plus populaire afin de voir émerger l’idée d’un marché.

Stéréoscope à réfractions de David Brewster - 1851

Par l’invention du daguerréotype, le développement de la photographie fut le déclencheur pour l’exploitation commerciale de l’image stéréoscopique. L’écossais David Brewster et le français Jules Duboscq conçurent à la même époque un stéréoscope à prismes, plus simple et plus petit que celui de Wheatstone3. Le nouvel appareil peut être assimilé à une paire de jumelles, faites de bois noble. En son sein, point de miroirs, mais des prismes qui ont pour but de faire converger le regard de chaque œil sur leur image respective du stéréogramme. Les couples d’images photographiques se retrouvent sur des plaques de verre, ce qui permet à la lumière d’entrer dans la boite.4. Le réalisme saisissant de l’image stéréoscopique de ce nouvel appareil fut la source de son succès. Ainsi, la vulgarisation du procédé scientifique initial, en suscitant la curiosité, permit finalement de le rendre populaire.

Il faut tout de même savoir que le stéréoscope et ses vues ne se sont pas imposés du jour au lendemain. Les éventuels fabricants restaient méfiants quand à l’éphémère tendance de l’image en relief et n’osèrent pas se lancer dans la fabrication de stéréoscopes. La stéréoscopie devra finalement son essor à deux éminents personnages : la reine Victoria et l’abbé de Moigno. Deux personnalités singulières qui, à leur façon, feront parler de cette nouvelle manière de voir la réalité. La reine Victoria croisa David Brewster et son stéréoscope au cours de l’exposition universelle de 1851. Surprise par tant de réalisme, elle en tomba sous le charme. Par la suite, David Brewster lui fit parvenir un exemplaire de son stéréoscope en cadeau, entraînant de nombreuses commandes venant de la cour, puis de toute l’Angleterre. En France, l’abbé de Moigno soumit le stéréoscope de Brewster à l’Académie afin qu’il soit ensuite distribué à travers le pays. Il se heurta à un collège d’érudits souffrant malheureusement de problèmes de vue ou feignant d’en avoir. Après un rude périple, il trouva finalement un œil attentif auprès du Collège de France et le stéréoscope commença à être distribué dans le courant de l’année 1852.

Ces premières difficultés de popularisation de l’image stéréoscopique accusent déjà cette retenue éprouvée par certains face au procédé. Couteux et complexe, son intérêt s’expose déjà comme étant limité à la magie de son illusion. Ainsi, faute d’application sérieuse, il finirait indéniablement par être passé de mode. Mais devant sa popularité, les craintes furent cependant mises de côté.

1852-1890 : Le stéréogramme et le réalisme « peep show ».

Stéréoscope à réfractions et stéréogramme photographique.

La popularité de l’image stéréoscopique s’explique vraisemblablement par le désir de réalisme et d’évasion des sociétés européennes qu’elle comblerait. Ainsi, si le succès des paysages et des scènes de vies a été possible, c’est qu’il a permis aux milieux aisés de s’évader tout en restant chez eux. L’approche des images par l’usage de procédés techniques apporte, en outre, de nouveaux éléments dans la représentation visuelle. N’oublions pas que, jusqu’alors, la peinture restait la référence en termes d’image et de reproduction de réalité. De ce fait, si la photographie changea la façon de percevoir le réel, l’effet de profondeur du stéréoscope ne fit qu’accroitre ce phénomène. Il n’est donc pas étonnant de voir l’investissement alloué aux vues s’étendre. Celles-ci n’apportaient pas simplement ce sentiment d’évasion, mais procuraient à celui qui l’appréciait une immersion au cœur même de l’image. Cette expérience unique créa une forme de dépendance qui nécessitait une production de vues sans cesse renouvelée. 5.

La stéréoscopie se vulgarisa ainsi, devenant un accessoire de divertissement, dont le rôle principal était de proposer des images dans lesquelles son spectateur pouvait se projeter. La scène de genre fut ainsi particulièrement à la mode. Facile à réaliser, tout en comblant l’intarissable besoin des consommateurs de vue, cette dernière constituait l’une des catégories de vue la plus vivante de la photographie stéréoscopique. Elle s’illustre généralement de scènes du quotidien, de façon plus ou moins caricaturale. Le tableau ainsi posé laisse au spectateur la liberté de promener son regard sur les différentes mises en scène qui se présentent à lui, faisant écho avec sa propre réalité. Une sorte de « télé-réalité » où le regard pouvait autant se fixer sur un concert sur les Champs-Elysées que sur une banale dispute proche d’un omnibus. La diversité de ces vues et la constante demande qu’elles suscitaient ne pouvait que confirmer la perversion opportuniste de l’œil humain.

Une série de stéréogrammes érotiques dissimulée dans un livre factice.

Ce voyeurisme naissant, dont Charles Baudelaire fera la critique, s’accentue grandement par la notion de « boîte à images ». Depuis 1852, l’image stéréoscopique ne s’est effectivement pas extirpée de son état de « peep-show ». Le stéréoscope reste donc un plaisir égoïste dont seule une paire d’yeux peut apprécier son illusion. Un inconvénient qui, malgré la tentation de la projection, trouve ses avantages dans le registre de l’image érotique. Il est vrai que si le désir d’évasion peut être géographique pour certains, il serait d’avantage été charnel pour d’autres. Quoi de plus profitable alors que de jouir d’un appareil fermé, dont la lecture des vues est exclusivement réservée à celui qui les regarde ? Comme le souligne Denis Pellerin, « s’il est difficile d’estimer exactement la quantité d’épreuves binoculaires obscènes ou licencieuses produites sous le Second Empire, nous savons avec certitude qu’une industrie aussi secrète que prospère se mit en place dès l’apparition du stéréoscope […] »6. Le marché de l’image stéréoscopique restant assez dynamique et ouvert7, il serait effectivement étrange qu’aucun fabricant de vues ne se soit enrichi par la production de stéréogrammes érotiques.

Le stéréogramme peut ainsi être considéré, au même titre que la photographie, comme un des acteurs majeurs de la mouvance des mœurs populaires liés à l’image. La vulgarisation du procédé permettra, non seulement la multiplication des vues et des fabricants, mais aussi de faire évoluer l’appareil en lui-même. Tout cela se faisant cependant au détriment de véritables enjeux scientifiques. A la fin des années 1850, on estimerait que cette « stéréoscopomanie » engendra plus de vues que de photographies. D’avantage consommé qu’apprécié à sa juste valeur, le stéréogramme s’est vu développer autour de lui une véritable économie qui va progressivement s’adapter à la demande des consommateurs. L’innovation technologique devient alors une démarche commerciale, visant à amoindrir les coûts des matériaux et simplifier le procédé pour rendre le stéréoscope accessible à tous. Vers 1880, tout le monde avait pu poser ses yeux devant les lentilles d’un stéréoscope.

1890-1923 : Le stéréocinématographe, de l’utopie à la réalité.

La tentation de faire du relief une expérience collective grandissait dans l’esprit des fabricants comme des scientifiques. Ce projet fut évidemment convoité par certains comme une éventualité qui permettrait de faire évoluer le procédé et d’en tirer un nouveau profit. Mais beaucoup avaient aussi ce désir de l’image intégrale, harmonisant toutes les techniques de l’optique au sein d’un seul et même appareil, ce qu’Antoine Claudet baptisa « l’utopie à l’optique », une image photo réaliste alliant les effets de mouvements et de relief. Fabricants et spécialistes de l’optique s’accordèrent à mélanger les différents procédés de visionnage des images et, petit à petit, se rapprochaient de leur désir utopique.

Projection de "La Nature" par Alfred Molteni.

Dès la fin des années 1850, on cherchait déjà à extirper l’image du stéréoscope par la projection. De nombreuses tentatives qui n’aboutirent qu’au début des années 1890 où le stéréogramme offrit enfin l’expérience d’une projection publique. Le procédé, alors rudimentaire, consistait à filtrer chaque image du couple par des couleurs complémentaires. Celles-ci projetaient une image décomposée qui se retrouvait reconstruite par l’usage de lorgnons, placés devant chaque œil, et auxquels les mêmes filtres étaient appliqués. Cette technique, née en Allemagne en 1853, Charles d’Almeida fut le premier à la mettre en pratique lors d’une projection à Paris. En 1891, Alfred Molteni simplifia le procédé en usant d’une seule lanterne magique à double foyer filtré. Il rendit l’expérience populaire en projetant des images de La Nature. Dans la même année, Louis Ducos Du Hauron reprit le procédé d’Almeida afin de le porter sur support papier et le baptisa « Anaglyphe »8. Aujourd’hui encore, le procédé d’images anaglyphiques est très répandu car il reste profitable à l’exploitation, principalement en termes de coûts9.

La stéréocinématographie ne s’arrêta cependant pas simplement à la projection. L’objectif était effectivement de rendre compte d’une harmonie des procédés optiques et n’impliquait donc pas forcément l’usage d’images projetées. Celle-ci présentait cependant l’avantage de rendre l’expérience collective, à la différence du système « peep-show » proposé par le stéréoscope. Malgré cela, plusieurs appareils se développèrent en ce sens, alliant le savoir-faire et l’ingéniosité d’inventeurs tels que Jules Richard et André Bazin. Bien qu’élaborés, leurs prototypes représentaient un savoir bien trop scientifique pour être vulgarisé. Trop technique pour être harmoniser, trop complexe pour être commercialisé, l’utopie de l’optique fit naître des appareils incroyables, mais qui n’ont pas trouvé leur place dans la culture populaire. Au-delà de toutes considération scientifique, l’évolution de l’image en relief visait aussi à relancer le marché des vues et la création d’expériences stéréoscopiques collectives. Face aux difficultés techniques et à sa trop grande complexité, la projection d’images en relief fut abandonnée au profit de la cinématographie. On ne peut donc pas considérer que cette évolution du procédé stéréoscopique eut un réel impact sur la culture populaire du XIXe siècle.

L'animateur stéréoscopique (1900) de Renée Bünzli permettait de visionner une séquence animée en relief grâce à un ruban papier de 10cm de large.

A cette époque, le développement du cinématographe met à mal les intérêts de la stéréoscopie. La projection d’images animées représente une nouvelle forme de réalisme, apportant aux spectateurs des « sensations de vies » qui, jusqu’alors, n’étaient pas réalisables avec la lanterne magique ou le stéréoscope. Ce nouveau procédé prit la place de la stéréoscopie dans la représentation de la réalité au sein de la culture populaire. En admettant cela, on pourrait ainsi considérer que l’effet de mouvement prime sur celui de la profondeur dans l’appréciation de la reproduction de l’image authentique. Dès le deuxième quart du XXe siècle, plusieurs cinématographes retournèrent pourtant sur les traces de leurs prédécesseurs et tentèrent d’allier stéréoscopie et cinématographie. Parmi ces techniciens, Lucien Bull et Etienne-Jules Marey ont travaillé de concert à la réalisation de films stéréoscopiques scientifiques. Ceux-ci étaient principalement des exercices de chronocinématographie en relief10 sur le battement d’ailes d’insectes11.

Aujourd’hui, il est assez compliqué de donner une date précise à la première projection cinématographique publique en relief. Outre le fait que les données d’archives et les collections sont disséminées à travers le monde, on estime aussi que depuis 1890, la projection d’images en relief est de l’ordre du possible. Partant de cet état de fait, il n’est donc pas impossible d’imaginer la création d’évènements stéréoscopiques ponctuels ouverts à un large public. La datation des projections publiques d’un film en relief reste difficile par l’absence d’un marché propre à cette image. Cela relève donc du parti-pris qu’ont eu les auteurs spécialisés dans ce domaine. Si l’on analyse les différentes dates des divers travaux sur le sujet, plusieurs de ces évènements pionniers sont cités comme référence12.

La première projection stéréocinématographique énoncée comme publique aurait eu lieu à Milwaukee dans le Wisconsin, à l’Astor Theater le 10 Juin 1915. Le réalisateur Edwin Porter y projeta plusieurs scènes ainsi qu’un extrait de Jim the penman, filmé en relief et projeté en anaglyphe. On pouvait ainsi y apprécier plusieurs séquences stéréoscopiques, dont certaines montraient les chutes du Niagara. On retrouve des intérêts proches de ceux recherchés par les fabricants de vues, à savoir l’évasion de son spectateur. Mais, pour beaucoup, cette « première » n’est qu’une démonstration et non une projection officielle. Elle ne peut donc être considérée comme la première projection publique d’un film stéréoscopique. Six ans plus tard, Technicolor mettait sur le marché le Cinéchrome, un nouveau système qui permettait de coloriser le positif avec deux couleurs. Ce procédé remit l’anaglyphe au goût du jour, donnant l’idée à Frédéric Ives et Jacob Leventhal de réaliser une série de courts-métrages, baptisée Plastigrams. Bien que projeté à un public, il est principalement question de courts métrages éducatifs qui ne répondent pas à la définition d’un premier film. Ce qui pourrait aujourd’hui être vu comme le premier film 3D public serait The Power of Love, dont la première s’est faite le 30 Septembre 1922 à l’Ambassador Hotel Theater de Los Angeles. Produit par Harry Fairall, le film profite d’une caméra binoculaire 35mm spécialement conçue pour sa réalisation. Un dispositif extrêmement organisé a été mis en place afin que chaque étape de la réalisation et de la projection puisse restituer la complexité technique déployée. On peut toutefois contester cette date lorsque l’on prend en compte les écrits du magazine Popular Mechanics. Celui-ci fait état d’une audience composée essentiellement de scientifiques, de photographes, de cinéastes reconnus ainsi que de journalistes. On ne peut donc pas considérer ce public de spécialistes comme un échantillon représentatif de la société. Bien qu’établir une date précise sur la première projection d’un film en relief semble compromis, le nombre de tentatives relevé s’accorde à reconnaître la volonté d’amener la stéréoscopie au cinéma.

Durant les décennies suivantes, on trouve nombre de ces essais de par le monde, qu’elles soient techniques, scientifiques ou propagandistes, ces multiples applications se trouveront disséminées au gré des mouvances du XXe siècle. Lenny Lipton, concepteur de la RealD et auteur de Foundations of the stereoscopic cinema : astudy in depth, énonce ainsi une quinzaine de films mentionnés comme stéréoscopiques, mais n’ayant laissé aujourd’hui guère plus de traces que leurs seuls titres.

Photo prise lors d'une projection publique de Bwana Devil. Cette image, devenu un symbole sera ensuite reprise, comme ici, par les Studios Pixar.

1950-1954 : Le cinéma 3D des 50s.

A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le monde en reconstruction avait soif de divertissements et d’évasion. Les mentalités avaient changé et un système sociétal plus dynamique s’instaurait. Les soldats, de retour chez eux, aspiraient à fonder une famille. Le foyer se modernisait, s’équipant d’appareils ménagers et investissant dans l’automobile. Le cinéma n’était ainsi plus considéré comme une « priorité ». Le nouveau ménage va chercher l’évasion, non plus dans les salles de cinéma, mais dans les sorties familiales. L’essor de la télévision et sa popularité croissante la rendait certes présente, mais n’était qu’un élément mineur au déclin de la fréquentation des salles de cinéma. Emergeant dans les années 1940, le poste de télévision est considéré comme un objet de luxe et n’est donc pas encore l’appareil addictif que nous connaissons aujourd’hui. Ce changement d’intérêt et de divertissement des sociétés modernes a eu irrémédiablement des conséquences sur l’économie du Septième Art. Les salles obscures fermaient et ce déclin devint très vite critique. Face à cela, les Majors devaient réagir afin de raviver l’intérêt populaire pour le cinéma.

Les projets de sauvetage du cinéma se succèdent alors sans susciter de grands intérêts auprès des productions hollywoodiennes. Les géants du cinéma commencent à se tourner vers l’Angleterre afin d’y trouver l’innovation qui leur manquait. Ils y découvrent notamment de nouveaux concepts en terme de stéréoscopie, tant pour la réalisation que pour la projection. Malgré cela, le pari présente un investissement qu’aucune Major ne veut assumer. De son côté, la Fox se concentre sur un projet d’écran large, le Cinérama13. L’essor du cinéma 3D doit ainsi son succès à Arch Oboler, réalisateur et producteur de Lions of Gulu, plus connu sous le titre Bwana Devil ((Le film est basé sur des faits réels qui ont eu lieu au Kenya en 1898. Il  raconte la construction du chemin de fer en Ouganda au cours de laquelle 140 travailleurs seront tués par des lions.)). Frappé par les possibilités qu’offrent la 3D, il arrête le tournage de son film et repart de zéro pour le réaliser en relief.  Projeté le 26 Novembre 1952 au Paramount Theater d’Hollywood et à Los Angeles, le film d’Arch Oboler fut un énorme succès. Présenté dans un format de double bande 35mm, Il fut projeté par un dispositif de lumières polarisantes qui fera date dans l’histoire. Bwana Devil est encore aujourd’hui considéré comme le premier long métrage colorisé en relief. Organisé par Arch Oboler, le succès du film continua au fur et à mesure des représentations, si bien que la United Artists verse près de 500.000 dollars afin d’en obtenir les droits de distribution. Ainsi, dès Mars 1953, Bwana Devil devient un film United Artists et il continua à faire des bénéfices.

Bwana Devil, House of Wax et It Came Form Outer Space sont considérés comme les films phares du relief des années 50.

Prenant ainsi conscience que la projection 3D avait un succès populaire, les Majors se mettent à reproduire le schéma de Bwana Devil. Cent ans après la popularisation du relief, la nouvelle ruée vers l’or stéréoscopique reprend de plus belle. Chaque production veut user de son propre système de captation d’images tridimensionnelles. Parmi ces « fabricants » de la 3D, la Warner Bros. peut être considéré comme celle qui réalisa les meilleurs bénéfices. The House of Wax, sortie le 10 Avril 1953, connu un succès instantané. Remake de Mystery of the Wax Museum (1933), le film n’est pas simplement une réussite technique14, mais il trouve aussi son intérêt dans une histoire sombre mettant en vedette Vincent Price15. Ce succès confirme la nouvelle donne de l’image cinématographique, résultant d’une course folle des productions dans la réalisation de projets 3D.

Tous les grands studios ont eu finalement des films en 3D. Universal International, qui restait sur la défensive jusqu’à présent, prend grand soin de son projet stéréoscopique. Réalisé par Jack Arnold, It Came From Outer Space (1953) est un des plus grands succès de la 3D des années 50, et est considéré aujourd’hui un film culte de science-fiction. Contrainte de reconnaître la popularité du 3D en salles, la 20th Century Fox produit deux films, Inferno (1953) et Gorilla at Large (1954), qui ont misé bien plus sur l’aspect technique que sur le scénario. Ceux-ci sont assez décevants et montrent bien le désintérêt profond de la Fox pour la 3D. Darryl F. Zanuck16 s’était déjà engagé dans le système Cinérama et n’est guère impressionné par les illusions de profondeurs. Plus encore, il fait la promotion de ces écrans larges par un slogan simple : « You see it without glasses! » ((Vous le voyez sans lunette !)).

La multiplication des films en 3D entraina la diversité des genres exploités dans ce domaine. Les studios veulent intégrer la 3D à tous leurs projets afin d’accroitre leur retour sur investissement17. Des films d’horreur à la science-fiction, se succèdent des films aux talents plus mitigés, comme des drames à l’eau de rose ou des films d’actions médiocres. On trouve cependant quelques perles originales telles que la comédie musicale Kiss me Kate (1953) ou le western The Charge at Feather River (1953)18. Tous ces films avaient cependant le même désir de créer « l’expérience unique à vivre » intégrant le spectateur dans l’action. Cette illusion d’interactivité entre le public en salle et l’écran est, bien évidemment, un des éléments de la 3D mis en avant dans les années 50. En 1954, la Warner sortit en salles Dial M for Murder réalisé par Alfred Hitchcock et considéré comme l’un des meilleurs films jamais réalisés en 3D. Alliant la technique du « maître du suspense » et celle de la 3D, ce thriller apporte, aujourd’hui encore, de nombreuses pistes sur la façon de concevoir un film stéréoscopique. Malgré le génie déployé dans sa technique et son intrigue, la stéréoscopie ne semblait plus être indispensable aux yeux d’un public lassé par le procédé.

Dial M for Murder d'Alfred Hitchcock (1954).

Pendant longtemps, on a pensé que la fin de ce phénomène 3D avait été causée par des films médiocres ou de mauvaises qualités dans le seul but de profiter de la tendance actuelle. Même si l’on peut l’accorder sur certains films, cela n’est certainement pas à appliquer à la majorité des sorties 3D durant la période 1950-1954. Ce qui poussa la stéréoscopie hors des salles, finalement, c’est une forme de lassitude qui gangrena les différents étages de l’exploitation d’un film. Les studios ne savaient plus quoi inventer pour « crever l’écran », ce qui fit baisser la qualité des films en relief. La distribution d’un film 3D avait aussi son coût. Voyant le phénomène décliner, certaines salles ne voulaient plus s’équiper19, tandis que d’autres n’avaient pas de personnel qualifié pour projeter en parfaite synchronisation les deux bobines du film stéréoscopique.

Le système finit lui-même par s’enrayer. Faute de nouveauté, le public se lassa, et l’on commença à critiquer le procédé comme « inutile » ou « trop cher ». Les projections désynchronisées engendraient aussi des maux de têtes et leur remboursement immédiat, tandis que les maigres sorties de films 3D étaient, dans leur majorité, des films de faibles qualités. Face à cela, le public est devenu très critique envers la 3D, allant jusqu’à trouver gênant cette intrusion de l’action en salle20. En imposant son format Cinérama au même moment, la Fox profite allègrement de la situation. Le succès en salles du film The Robe (1953)21 fait du péplum, et de l’image « grand format », le nouveau phénomène à la mode, mettant définitivement le relief sur la touche.

De retour au stade expérimental, la stéréoscopie perdit de nouveau son statut d’image populaire. Les décennies suivantes seront marquées par de brèves tentatives, peu convaincantes, tandis que l’intérêt scientifique grandissait pour un autre procédé d’imagerie en relief : l’holographie.

2009-2012 : L’image 3D numérique et le culte de la conversion.

Première affiche d'Avatar.

Avant l’annonce de la sortie d’Avatar, notre conception « populaire » de la stéréoscopie se limitait à ce que nous avions à notre portée. Quelques souvenirs de nos grands-parents, les fameuses lunettes « rouge-bleu », ainsi que notre propre expérience au travers des attractions de parcs à thèmes ou des « magazines de plages ». Une maigre expérience qui va vite se retrouver prise dans le flot démesuré de la promotion de l’image 3D, déjà perçue comme la nouvelle façon de voir du XXIe siècle. En tête de gondole, le film produit par la 20th Century Fox22 qui profitera d’un « Avatar Day » durant lequel seront projetés quelques séquences du film.

« Le 21 août, le monde découvrira les premières images de l’œuvre épique de James Cameron, Avatar. La Fox et Cameron présenteront la bande-annonce du film partout – des cinémas triés sur le volet et les salles IMAX proposeront un montage de scènes préparées spécialement par le réalisateur pour cet « Avatar Day » événementiel. » – Communiqué officiel de la 20th Century Fox.

Une façon pour la Fox de tâter le terrain et de voir si le public est prêt à accueillir la 3D en salle. Une mécanique extrêmement bien pensée a donc été déployée afin de pouvoir nourrir l’attente du public et de susciter son désir de voir l’œuvre dans son intégralité. N’ouvrant sa boîte de Pandore qu’à partir du 16 décembre 2009, James Cameron assure déjà une rentabilité potentielle sur la période de Noël. Amorcé par une campagne médiatique forte, Avatar eut un succès inégalé dans l’histoire du cinéma, battant les records au box office23 et ouvrant les portes au marché de la 3D numérique. Néanmoins, si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’Avatar répond aux mêmes codes que toutes les autres images stéréoscopiques populaires distribuées depuis 1852. Construit autour de scènes simples, le film invite le spectateur à vivre une expérience unique dans laquelle il appréciera une fiction proche de la réalité, et dans laquelle il pourra s’y évader en toute liberté. L’aspect novateur de la 3D numérique apporte, certes, une nouvelle appréciation du procédé, mais elle ne fait que remettre la technique au goût du jour.

Malgré ces similitudes, le développement des sociétés médiatiques basées sur l’influence de l’image dans notre quotidien tend à changer la donne. Face à son succès en salles, la 3D se voit être légitimée et exportée sur tous les autres supports de l’image. Facilitée par sa numérisation, la stéréoscopie devient le fer de lance de « l’imagerie du futur », s’invitant au sein même du foyer par l’adaptation du Home Cinéma en « Home 3D ». Ce changement de comportement n’est pas exclusif à la 3D. Déjà mis en cause par des changements soudains dans le domaine de l’audiovisuel24, il s’apparente au trauma économique qui pousse nos sociétés à la constante quête d’innovation. En somme, si ce nouveau retour vers la 3D a des éléments en commun avec les précédentes tentatives, sa médiation va plus loin en s’adaptant à la diversité des supports disponibles. Appareils photos ou vidéos, télévisions, informatique, consoles de salon, Smartphones et tablettes tactiles, rien ne semble pouvoir échapper à l’intérêt des firmes de l’image. Car, bien avant que la méfiance vienne gripper cette mécanique bien huilée, beaucoup misèrent sur les nouveaux enjeux de la stéréoscopie.

Afin de constater cette évolution franche en termes de campagne de publicité, prenons deux images illustrant deux modèles de téléviseurs LED 3D ambilight. La première est une image conceptuelle du futur système « Home 3D ». Elle s’illustre par une famille type25, réunit autour du poste de télévision 3D. Le travail de l’image dans l’image est ici très important puisqu’elle doit rendre compte de sa légitimité au sein du foyer, ainsi que de sa performance en termes d’image stéréoscopique. Un premier élément d’information qui s’expose ici par l’usage d’Avatar comme image intrinsèque. Cette assimilation n’est pas innocente puisqu’elle est une référence 3D au sein de la culture populaire. Elle donnerait ainsi un premier sens à l’équipement en lui-même, permettant de retrouver chez soi l’expérience des grands films 3D, comme au cinéma. Autre élément de vente, la dimension de l’image par sa notion de « crève l’écran ». Ici, on voit cette Na’vi prendre appui sur la jambe du père de famille. Ce dernier se retrouve plus ou moins allongé dans l’univers de la planète Pandora, la végétation envahissant le salon et le seau de pop-corn entre les deux mondes ainsi exposés. On y retrouve ce sentiment d’expérience à vivre, désormais possible dans l’intimité et la convivialité de son foyer. Des éléments qui, comme pour Avatar, sont des arguments de ventes extrêmement bien réfléchis afin d’apprivoiser le consommateur au concept de l’image 3D chez soi. En y regardant de plus près, on constate qu’une information de taille fut omise puisque aucun membre ne semble être muni de lunettes 3D. Omission intensionnelle ou non, cette absence souligne aujourd’hui le concept d’autostéréoscopie ou 3D sans lunettes, apportant le confort et la liberté qui manquent cruellement aux systèmes actuels. On comprend, bien évidemment, que le but recherché par un tel montage est d’exposer les multiplies avantages de la 3D chez soi. Celle-ci proposant de retrouver les mêmes sensations stéréoscopiques qu’au cinéma, sans les inconvénients.

Succédant aux conversions cinématographiques de médiocre qualité et d’un prix du billet trop élevé, ce possible engouement pour l’image stéréoscopique est bien vite retombé. Les sociétés de l’image durent  ainsi revoir leurs approches marketing. Dans la seconde image, présentant une publicité plus récente, nous nous trouvons dans un tout autre registre. Il ne s’agit déjà plus d’une famille, mais d’un couple de jeunes actifs26. Le changement de cadre27, nous place dans une ambiance « zen » et design où tout irait de pair.  Le téléviseur n’a plus une place centrale, mais s’intègre parfaitement à une cohérence de l’ensemble à vivre. On retrouve des codes similaires avec la première publicité, notamment par cette image intrinsèque « crève l’écran ». On ne peut cependant préciser de quel film il s’agit. Cela étant, il garde à l’esprit l’idée du film de fiction apportant son lot d’actions et mettant à profit l’usage de la 3D. Autre élément notable, l’usage des lunettes qui, par leur taille, amène à penser à des lunettes actives28. Ce nouveau montage mise donc sur les réelles possibilités de l’image 3D. Il joue aussi sur une scénarisation qui pose le couple, fraichement rentré chez lui29, devant une tasse de thé et un film 3D. La médiation de l’image stéréoscopique passe donc ici d’avantage vers la notion d’évasion que de convivialité. Le couple se retrouve devant un film 3D pour se détendre.

Donner un sens à l’image 3D, notamment par sa valeur au sein d’un foyer, est devenu une rude bataille qui oppose l’impression à donner et celle perçue par les consommateurs d’images. Depuis 2009, l’effervescence du relief n’engendra pas que des éloges. Premièrement critiquée dans un registre médical, avec des interdictions de visionnage 3D pour les moins de 3 ans, la stéréoscopie devient la cible des cinéphiles qui ne la perçoivent pas comme une innovation. La 3D est effectivement une technique datant dont le numérique n’a simplement fait qu’une remise au goût du jour. Le recyclage d’une technique presque bicentenaire vaut-elle vraiment le coût qu’elle exige ?

Mais si la légitimité de l’image 3D est difficile au sein des foyers, ce n’est pas simplement qu’une question de prix. Depuis 2009, on constate une augmentation de films distribués en 3D mais, parmi ce flot de projets, peu sont finalement de véritables productions stéréoscopiques. On peut différencier alors la 3D native qui propose un relief issu d’image tournée par des caméras double foyer, et la 3D virtuelle qui construit l’illusion en convertissant un film 2D en 3D. Cette dernière est beaucoup moins onéreuse que le tournage avec un équipement 3D, et a amené les productions hollywoodiennes à appliquer ce processus sur leurs différents blockbusters. De Pirates des Caraïbes 4 à John Carter, l’image de bon nombre de ces films à gros budget rendait mal en 3D car ils n’avaient pas été réalisés selon les contraintes visuelles qu’impose la stéréoscopie. Cette dernière a ses règles et ses limites, ne pouvant faire de toute image une représentation tridimensionnelle. La conversion est une technique imparfaite qui nécessite un savoir-faire et une élaboration sérieuse, afin de garder l’esthétisme et les effets liés à une image 3D. Il ne suffit pas de recréer un couple stéréoscopique pour faire de la 3D, mais bien de la penser et de la développer comme un stéréogramme « natif ». Malgré d’excellentes productions stéréoscopiques comme Tron Legacy ou Hugo Cabret, la popularité de la 3D fut très vite mise en berne.

Extrait du docu-live de Peter Jackson sur le tournage de Bilbo The Hobbit, qui sera entièrement tourné en 3D. Le 1e film sortira pour la fin d’année 2012, et le second pour la fin 2013.

Enrayant le marché de l’image en relief par la multiplication des conversions, les productions hollywoodiennes prennent aujourd’hui conscience de leur erreur. Le mal est cependant déjà fait et, au sein de la culture populaire, la 3D n’a plus de légitimité propre. Pourquoi devrions-nous investir dans un équipement 3D hors de prix puisque les films proposés ne sont pas en vraie 3D ? Plus encore, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de version Bluray 3D d’Avatar. Un fait qui ne serait sans décrier l’intérêt porté par les distributeurs vis-à-vis de la TV-3D. Ce nombre accablant de points noirs n’est pas sans décourager les consommateurs et les sociétés de l’image. Relaté par un article proposé par Les numériques, Sony a confié que « concernant la 3D, force est de reconnaître que nous sommes carrément découragés ». Manque de légitimité au sein de la culture populaire ou faute d’investissement sur les diverses procédés stéréoscopiques, il reste que le géant de l’image ne sait plus sur quel pied dansé. Lors du CES 2012, la 3D a été tout de même présente et a marqué le pas d’une nouvelle image, plus accessible et de qualité. Elle était intégrée au sein de concepts qui, bien qu’intéressants, ne trouveraient leur application que dans quelques années. Cela étant, le marché de la 3D manque de temps. Discréditée, elle ne vend pas assez, et risque d’être démodée bien plus vite que prévu.

Ce qu’il faudrait actuellement, c’est un « reboot » de la médiation culturelle allouée à l’image 3D, cela afin de lui redonner une légitimité renouvelée. Ne faire que des films en 3D native justifierait le prix en salles. Privilégier le développement des télévisions 3D passives ou autostéréoscopiques, pour limiter les coûts et accroitre le plaisir de l’expérience. Des petites choses humainement possibles mais économiquement impensables.

Post-2012 : Vers un 3D non-stéréoscopique.

L’avenir nous le dira bien assez vite, mais il semble que la stéréoscopie ne fasse, une fois encore, qu’un court passage dans l’histoire de l’image. Datée, elle se heurte aujourd’hui à des sociétés vouées à une image de qualité et qui peut être facilement diffusée. Si la 3D s’épanouit aisément dans la première, elle manque cruellement de l’autre. La nécessité d’un support compatible 3D, chose qui n’est pas à la portée de tous, freine ce partage et limite sa pratique. Ainsi, on ne retrouve l’usage professionnel de la 3D que dans certains domaines comme la médecine, les arts, l’architecture ou bien l’éducation. Des domaines d’application qui restent mineurs au sein de nos sociétés et qui ne peuvent tendre à une généralisation du procédé. Plus encore, la stéréoscopie est une technique qui a plus d’un siècle et demi. Mise à part dans le développement des nouveaux écrans AMOLED, elle risque toutefois d’être bientôt dépassée par les nouvelles technologies de pointes, notamment par l’émergence de la nanotechnologie.

Image extraite du film Back to the Future II dans lequel Marty Mac Fly se retrouve nez à nez avec un hologramme du requin de la suite de Jaws.

Alors, que va devenir la 3D dans les dix à quinze prochaines années ? Il faut savoir que l’image en relief ne s’arrête pas qu’à la stéréoscopie. Même s’il est difficile, à l’heure actuelle, de savoir si la 3D stéréoscopique continuera de se développer, il est maintenant certain que dans une centaine d’années nous parlerons encore de tridimensionnalité de l’image. Cela se constate notamment par l’intérêt grandissant porté à l’holographie. Plusieurs communiqués et interviews vont d’ailleurs en ce sens. Howard Stringer, PDG de Sony, parle d’un projet holographique 3D pour la Coupe du Monde de Football de 2022 et que cela « ne serait pas de la science-fiction ». De son côté, le département Samsung Display travaille au développement d’écran AMOLED flexible pour leurs supports d’images. Ils proposent une vidéo « concept » d’une tablette qui a comme particularité la possibilité de projeter une image holographique. Si le projet fut démenti, ce dernier tient plus du souhait que de la réalité. Il reste l’infime probabilité que les développeurs de la firme aillent en ce sens. Dans ce cas, un tel appareil ne serait pas à envisager sur le marché avant 2030.

Cette nouvelle forme potentielle de l’image 3D, cette fois-ci extirpée de son support, pourrait légitimer son emploi et tendre à renouveler sa place au sein de la culture populaire. Plus encore, elle pourrait être à même de reformater la conception que nous avons de l’image. Nous pourrions ainsi nous demander ce que deviendrait le cinéma à l’heure de l’hologramme ? Pourrons-nous imaginer de nouveaux modes de communications par hologrammes, comme c’est le cas dans les films de science-fiction ? Si, techniquement, cela est réalisable, les procédés holographiques restent encore au stade expérimental et leur application reste relativement onéreuse30.

Les hologrammes présentés dans la saga Star Wars est utilisé comme outil de communication.

Bâtie sur des périodes de forts engouements et d’autres où elle passa dans l’oubli, la 3D s’établit au sein même de la culture populaire. Elle répond à des besoins, nourrit des envies et a développé une expérience de réalisme inégalée pendant plus d’un siècle et demi. Traversant les époques, elle s’est adaptée aux mœurs et aux technologies. Et si l’on y regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que le même schéma de médiation se cultive au sein des périodes d’engouement de la 3D. Le stéréogramme exprime, à travers son histoire, un désir sociétal de réalisme qui tend aujourd’hui à vouloir le rendre palpable.

Mais la 3D souffre d’un manque de légitimité. Les différentes zones d’ombres de son histoire montrent ses limites, tant techniques qu’esthétiques, et l’on ne saurait dire si, aujourd’hui encore, il n’en serait pas de même. L’image tridimensionnelle souffre d’un manque de confiance générale qui freine l’approche constructive de son développement. Depuis 2009, on a pris cependant conscience que, techniquement, la stéréoscopie fonctionne et qu’elle peut encore trouver sa place au sein du système d’images dans lequel nous évoluons. Aujourd’hui, il est cependant question de trouver une application à l’imagerie en relief et tout porterait à croire que l’hologramme serait l’aboutissement de cette longue évolution. Extirpée de tout support, l’image 3D deviendrait alors un nouvel outil de réalisme, mais aussi de communication31. Cela étant, la place qu’elle occuperait serait-elle suffisamment pertinente pour qu’elle soit considérée à sa juste valeur par la culture populaire du XXIe siècle ?

  1. Voir l’article « Who killed 3-D ? » qui met en place plusieurs théories sur le sujet. http://www.slate.com/articles/health_and_science/science/2011/09/who_killed_3d.html)
  2. Le mémoire que Charles Wheatstone proposa à la Royal Society s’intitule :  “Contributions to the physiology of vision, Part the first : On some remarkable, and Hithertounobserved, phenomena of binocular vision.”
  3. Si le mérite de la conception en revient à M. Brewster, M. Dubosq sera le premier à en fabriquer.
  4. Le stéréogramme a ensuite évolué en passant de la plaque de verre à l’albumine, puis au papier cartonné
  5. On peut ainsi comparer cette  dépendance et cette exigence à celles que nous aurions aujourd’hui vis-à-vis de la télévision et des programmes qu’elle nous propose.
  6. Denis Pellerin, La photographie stéréoscopique sous le Second Empire, BnF, 1995
  7. Pour ne pas dire avide du moindre profit.
  8. Le terme anaglyphe vient du grec, composé d’ana, « du bas vers le haut » et de glyphe, « ciselure », traduisant la technique de découpage du procédé.
  9. Voir l’article « L’anaglyphe, icône de la 3D »
  10. Procédé de prise de vues au ralenti permettant de reproduire le mouvement en accéléré lors de la projection.
  11. La liste de ces bandes est répertoriée au sein de l’archive « BULL » de la Cinémathèque Française. Il existe, en outre, une numérisation d’un film test, fait à l’institut Marey, et tourné en relief. Cette copie se trouve dans les archives de l’INA, et à la BNF
  12. Cette période suscite aujourd’hui encore un intérêt certain comme un vif débat. Elle pourrait ainsi faire l’objet d’un prochain article plus détaillé où je mettrais en avant les essais stéréoscopiques de techniciens de l’image tel que Louis Lumière ou Abel Gance
  13. Procédé de projection sur écran large, une sorte d’ancêtre au Cinémascope
  14. Chose d’autant plus étonnante que son réalisateur, André de Toth, était borgne.
  15. Acteur qui, à l’époque, était une figure emblématique des films d’horreur. On note aussi la présence au casting de Phyllis Buchinsky, que l’on connaîtra plus tard sous le nom de Charles Bronson.
  16. Producteur, réalisateur et directeur de la 20th Century Fox
  17. Une idée marketing que l’on retrouve aujourd’hui avec la conversion 3D numérique.
  18. Un Western assez amusant puisque tout ce qui pouvait être lancé (lances, flèches, personnages, etc…) était lancé sur le public par l’effet de la 3D.
  19. On proposait des copies anaglyphes de moindre coût et de moindre qualité.
  20. John Hayes, auteur de A short history of 3D movie, mit en évidence le fait que la chute du 4e mur présent au cinéma fut un avantage et un inconvénient dans le développement de la stéréoscopie en salles. Si l’interactivité avait son côté ludique, pour d’autres elle faisait directement intrusion dans leur appréciation du film, annihilant de fait le voyeurisme du spectateur sur l’image.
  21. The Robe est considéré comme le premier fil a usé du format large qu’offre le Cinérama.
  22. On pourrait ici saisir l’ironie de la situation, la Fox ayant participé à la chute de la 3D dans les années 50s et qui, aujourd’hui, la met en avant.
  23. dont la première place au box office de tous les temps, devant Titanic.
  24. Type d’écrans, type de supports vidéo, formats et qualités de l’image.
  25. Une famille de type caucasienne, formée d’un couple de trentenaire et de deux enfants. Notons que la présence d’un garçon et d’une fille souligne l’indifférence de sexe face à l’intérêt du support.
  26. Considérons qu’il s’agit ici de jeunes trentenaires. La démarche publicitaire serait donc de chercher un public plus jeune, et amateur de technologies.
  27. Tant dans la position de l’image que dans le cadre social.
  28. Les lunettes actives sont munies de clapets et participent à la construction de l’image 3D du procédé d’images alternées. Equivalent du système Dolby 3D au cinéma.
  29. L’homme, encore en chemise, et les talons négligemment posés sont autant de signes qui trahiraient ce type de mise scène publicitaire.
  30. Comptez 1.5 millions de dollars pour une conférence et 8 millions pour une représentation de théâtre.
  31. Ce qui lui permettrait d’être légitimé comme un support de diffusion de l’image.

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